Plus de cent personnes ont été appréhendées en Géorgie lors du second jour de manifestations provoquées par la décision de l'État de suspendre les pourparlers d'adhésion à l'Union européenne, en plein milieu d'une crise postelectorale, ont annoncé les autorités ce samedi 30 novembre. L'ancienne république soviétique du Caucase traverse une période agitée depuis les élections législatives du 26 octobre, remportées par le parti au pouvoir, Rêve géorgien, accusé de prendre un virage autoritaire prorusse. Le scrutin est jugé entaché d'irrégularités par l'opposition pro-européenne, qui refuse de participer au nouveau Parlement.
Les manifestations nocturnes ont rassemblé des milliers de citoyens à Tbilissi jeudi et vendredi, pour dénoncer la décision de repousser les discussions d'intégration à l'UE à 2028. Ces rassemblements ont été réprimés avec force par les autorités. Selon le ministère de l'Intérieur, 107 personnes ont été arrêtées vendredi pour "désobéissance aux forces de l'ordre" et "vandalisme", tandis que 10 agents de police ont été blessés. La veille, 43 manifestants avaient été mis en détention et 32 policiers blessés, d'après la même source.
Lors de la manifestation de vendredi soir, la police anti-émeute a de nouveau employé des gaz lacrymogènes et des canons à eau contre les manifestants, qui en retour lançaient des œufs et tiraient des feux d'artifice, ont observé des journalistes de l'AFP. "Tout au long de la nuit, les manifestants ont projeté divers objets, notamment des pierres, des engins pyrotechniques, des bouteilles en verre et des objets métalliques sur les forces de l'ordre", a déclaré le ministère de l'Intérieur dans un communiqué.
Des appels à un nouveau rassemblement samedi soir circulent sur les réseaux sociaux. Des manifestations ont également été rapportées dans plusieurs autres villes du pays. Au moins huit personnes ont été appréhendées dans la deuxième ville de Géorgie, Batoumi, d'après les médias locaux.
"J'exprime ma gratitude au ministre de l'Intérieur et à toutes les forces de police qui ont défendu hier l'ordre constitutionnel en Géorgie et protégé la souveraineté et l'indépendance de notre nation", a déclaré le Premier ministre Irakli Kobakhidzé lors d'une conférence de presse samedi. Cependant, le service d'enquête géorgien a annoncé l'ouverture d'une enquête pour "allégations d'abus d'autorité par la violence des forces de l'ordre contre les manifestants et les représentants des médias". La chaîne de télévision indépendante Pirveli a rapporté qu'une de ses journalistes a été hospitalisée après avoir été violemment battue avec son cameraman par les forces de sécurité.
Le mouvement ne se limite pas à la rue. Des centaines de fonctionnaires issus des ministères des Affaires étrangères, de la Défense et de l'Éducation, ainsi que des juges, ont publié des déclarations communes en signe de mécontentement. Environ 160 diplomates géorgiens ont critiqué la décision gouvernementale de retarder le processus d'intégration européenne, considérant qu'elle va à l'encontre de la Constitution et précipite "l'isolement international" du pays. Plus de cent établissements scolaires et universitaires ont suspendu leurs activités en signe de désaccord.
Malgré sa décision, le gouvernement affirme poursuivre les réformes avec l'intention de rejoindre l'UE d'ici 2030. Le Premier ministre a dénoncé un "chantage" de la part de Bruxelles, alors que le Parlement européen a exigé de nouvelles élections législatives. La Géorgie a obtenu officiellement le statut de candidat à l'adhésion à l'UE en décembre 2023, mais Bruxelles a depuis gelé le processus, accusant l'exécutif géorgien d’un grave recul démocratique.
La présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, malgré ses pouvoirs limités et son opposition au gouvernement, a soutenu les manifestants et participé au rassemblement de jeudi. Elle a estimé vendredi soir que "le mouvement de résistance avait débuté". "Nous resterons unis jusqu'à ce que la Géorgie atteigne ses objectifs : réintégrer le chemin européen et obtenir de nouvelles élections", a déclaré cette ancienne diplomate française qui refuse de reconnaître la légitimité du Parlement issu des élections d'octobre.
La France a appelé vendredi au "respect du droit de manifester pacifiquement" tout en réaffirmant son soutien aux aspirations européennes de la Géorgie, "qui ne doivent pas être trahies". Le Conseil de l'Europe a condamné la "répression brutale des manifestations", s'alarme de la décision du gouvernement de suspendre ses négociations avec l'UE. Amnesty International a déploré une volonté "d'éliminer toute dissidence".
Des comparaisons avec la situation de l'Ukraine ont été faites, un pays qui avait lui-même connu en 2014 un mouvement pro-européen après la tentative des autorités de l'époque de suspendre le rapprochement avec l'UE. L'Ukraine a dénoncé un "recours à la force" et une "limitation des processus démocratiques" menés "pour plaire à Moscou".
La situation en Géorgie continue de faire l'objet de tensions et de préoccupations internationales. Le pays semble être à un carrefour de son avenir politique, pris entre son désir d'intégration européenne et les pressions internes et externes pesant sur son processus démocratique.
Ces événements reflètent non seulement les tensions politiques internes, mais aussi les répercussions géopolitiques dans une région où des influences russes et européennes s'affrontent. Le déroulement futur de ces manifestations et la réponse des autorités pourraient influencer de manière significative l'orientation future de la Géorgie, à la fois sur le plan national et international.
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