L'article présenté ici, initialement publié dans le numéro 4 de la revue Kometa, est rédigé par le célèbre écrivain biélorusse Sacha Filipenko. Il y décrit comment il a été dénoncé par son propre grand-père, influencé par le matraquage incessant de propagande du régime de Loukachenko. Ce régime ne ménage aucun effort pour disqualifier ses opposants qu'il qualifie de "moustiques fascistes envoyés par l’Occident pour empoisonner les Russes". Cet article peut être retrouvé dans la newsletter Le Plein d’idées de Challenges.
En septembre 2020, alors que le Bélarus vivait une époque marquée par de vastes manifestations en faveur de la démocratie, mon grand-père a publié une lettre ouverte extrêmement critique à mon égard. Ce texte, qui m'accusait d'être un traître, fut d'abord diffusé dans un journal soutenant Loukachenko, avant de se répandre à grande échelle à travers les canaux de propagande de l'État. Depuis lors, je ne suis plus désigné dans l'opinion publique que comme "le fameux Filipenko renié par son grand-père".
Voici un extrait de ses propos : « Sacha, tu as renié tes ancêtres qui combattaient les fascistes et leurs alliés arborant le drapeau blanc-rouge-blanc. Tu es un écrivain dont l'accentuation est posée sur la première syllabe. Sois-en conscient. Ton grand-père. »
En russe, selon la place de l'accent, le terme pissat’ se traduit soit par "écrire", soit par "uriner". Mon grand-père a donc ostensiblement choisi de me qualifier comme un écrivain dans le sens péjoratif du terme, une plaisanterie qu’il n’a pas formulée de lui-même. Elle lui a été inspirée par le quotidien de propagande Bélarus aujourd’hui, toujours empressé de publier des diatribes à mon encontre. À travers cet acte public, mon grand-père a recouru à une vulgarité soufflée par les faiseurs de mensonges officiels, une propagande qui fomente la peur et l’antipathie. Ainsi, je me suis vu labellisé comme traître, nazi et écrivain sans talent.
Ma mère n’avait que 12 ans lorsque mes grands-parents se sont séparés. Mon grand-père n’a jamais occupé une place significative dans ma vie. Il ne m'a même jamais adressé ses vœux pour mon anniversaire. Je ne garde en tête que de très rares souvenirs de nos rencontres. Je ne sais pas grand-chose de sa carrière, si ce n'est qu'il a occupé des fonctions de gardien dans une usine avant de prendre sa retraite. Lorsque nos chemins se croisaient par hasard dans les rues de Minsk, nos conversations tournaient invariablement autour de sujets politiques – par exemple, il prétendait avoir relié les points entre mes idées et... [texte tronqué].
Ma compréhension de cette situation familiale et politique complexe reste limitée, mais je suis intimement convaincu que la désinformation orchestrée par le régime a joué un rôle crucial dans les convictions exprimées par mon grand-père. Il est symptomatique de ce que la propagande peut produire de plus corrosif, infiltrant les liens les plus étroits et transformant la perception du réel chez les individus.
Le cas personnel que je partage ici n’est pas un phénomène isolé. Partout où la propagande de l’État prend racine, elle divise non seulement les sociétés dans leur ensemble mais aussi les familles entre elles. La presse contrôlée par Loukachenko fait partie d'une vaste machine ayant pour but de maintenir son emprise sur la population, exploitant tous les ressorts possibles pour créer des dissensions internes. L’éducation et la diffusion d’informations biaisées font partie des méthodes essentielles sur lesquelles elle repose pour s’imposer.
Dans cet environnement hostile, rester fidèle à ses convictions revêt une dimension particulièrement complexe et requiert résidence. Pour toutes les personnes animées par le désir de défendre la vérité et la justice, l’adversité impose une réflexion sur les moyens efficaces de communication et de résistance. Le rôle des écrivains, journalistes et intellectuels n’en devient que plus critique à mesure que la propagande gagne en intensité, car ils apportent une lumière essentielle pour dissiper les ténèbres de la manipulation mentale.
L’engagement envers la vérité demande courage et persévérance. Un travail de fond est indispensable pour contrer la désinformation par le biais de témoignages honnêtes et d'une mise en lumière des situations réelles vécues par les communautés affectées. Mon objectif reste de sensibiliser un maximum de personnes sur les dangers que représente la distorsion factuelle et l’importance de protéger nos droits démocratiques, quel qu'en soit le prix personnel à payer.
Pour conclure, cet épisode douloureux me pousse à lancer un appel à la solidarité entre ceux qui résistent à l’oppression, où qu’ils se trouvent. La constance et la solidarité internationale peuvent devenir des armes formidables pour contester les régimes autoritaires et influencer le cours de l’histoire. Les témoignages tels que le mien, bien que issus de contextes personnels, s’inscrivent dans un combat collectif plus large pour un avenir libre et solidaire, au Bélarus comme ailleurs.
En somme, j'espère que mon récit incitera à une prise de conscience plus profonde de l'impact corrosif des régimes totalitaires et suscitera un élan de compassion et de soutien mutuel. Nous devons tous aspirer à construire un monde où l'humain prime sur toute idéologie déshumanisante et où la parole reste libre de craindre la répression.
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