Depuis neuf ans, les guichets à l'entrée du stade Marcel-Deflandre sont inutilisés. Fermés depuis le 2 janvier 2016 lors de la réception de Castres Olympique, ils resteront clos ce samedi 4 janvier 2025 pour la centième fois consécutive en Top 14. C'est un jalon symbolique que le club de La Rochelle entend célébrer dignement face au leader du championnat, leur grand rival toulousain. Un affrontement rêvé pour ce que le club de Charente-Maritime qualifie de "record dans le rugby français". "C'est important pour nous de marquer le coup afin de remercier tous ceux qui ont contribué à ce succès", déclare Pierre Venayre, le directeur général du Stade Rochelais.
Des animations autour de la rencontre seront prévues pour marquer l'événement. La Ligue a bien organisé une confrontation contre notre meilleur ennemi. "Est-ce le hasard? Je ne sais pas, nous n'avons pas fait de demande spécifique. Les algorithmes ont fait que nous sommes tombés sur ce match-là (sourire). Et tant mieux", ajoute Venayre. Un "spectacle d’avant-match d’envergure" incluant pyrotechnie, jeux de lumières et un spectacle de danse est prévu pour les festivités.
Dans le vestiaire rochelais, cet événement provoque l'émerveillement, notamment chez l’ailier sud-africain Dillyn Leyds, qui a célébré en juin sa centième apparition sous le maillot du club double champion d’Europe (2022, 2023). "C'est quelque chose de spécial non seulement pour le club ou la ville mais pour le sport en général. Nous devons remercier tous nos supporters. Je croise des personnes en ville, au supermarché, qui me demandent souvent s'il est possible d'obtenir un billet pour le match car ils n'arrivent pas à en acheter."
Avec 14 000 abonnés et plus de 1 000 partenaires, Marcel-Deflandre est devenu un stade très prisé, une forteresse de 16 700 places où beaucoup peinent à entrer, tant les ventes en ligne destinées au grand public sont prises d'assaut. "Je ne vendrai mon abonnement pour rien au monde, je ne veux même pas en entendre parler (rires). Je préférerais perdre ma carte bancaire plutôt que ma carte d’abonné", image Maxime Collin, un fidèle de longue date qui n'a manqué aucun des 99 précédents matchs à "guichets fermés" depuis les tribunes, accompagné de son fils et des Bagnards, ces supporters vêtus de jaune et noir de la tête aux pieds.
Le président du club emblématique des Bagnards est un témoin direct de cette ferveur croissante, presque délirante. "J'ai connu les bancs en bois, avec 500 supporters. Là, quand on voit la liste d'attente (7 500 personnes), les gens se pressent... J'ai des messages toutes les semaines, voire tous les jours, pour savoir si je ne peux pas aider des personnes à obtenir des places", confie-t-il à RMC Sport. "J'aimerais bien mais je ne suis pas magicien (rires). C'est juste exceptionnel, cet engouement. Même avec 6 000 sièges de plus, le stade serait plein quand même."
"Même si nous appelons les supporters à minuit, je pense que tout le monde serait là", plaisante, impressionné, le pilier rochelais du XV de France Uini Atonio, l'un des favoris de Deflandre, joueur le plus utilisé lors de cette série (71 matchs). "Cela montre à quel point nos supporters sont fidèles. Nous avons vraiment la chance d'avoir une ville qui soutient l'équipe. Dans les hauts comme dans les bas, ils sont toujours là. Qu'il pleuve, qu'il neige, qu'il fasse 40°C, ils sont toujours là pour nous. Cent guichets fermés, c'est assez incroyable."
"C'est assez émouvant aussi. Jamais nous n'aurions imaginé cela", confesse le directeur général Pierre Venayre en repensant au passé. "En fait, nous avons commencé à centrer notre stratégie de développement marketing, notamment de la billetterie, autour d'une stratégie de guichets fermés en 2015, au contact d'un ancien manager des Minnesota Timberwolves, une franchise NBA, qui avait enchaîné plus de 850 matchs consécutifs à guichets fermés. À l'époque, si on nous avait dit 100 matchs consécutifs, ça nous aurait semblé assez fou !"
Bien qu'il espère que ce succès de 100 matchs consécutifs à guichets fermés soit reconnu par le monde du rugby, cet ancien centre du Stade Rochelais (2001-2008) tient à "remettre les choses en perspective". "Il faut aussi avoir la modestie de savoir que ce n'est qu'un stade, entre guillemets, de 17 000 places. Bordeaux a des affluences moyennes plus importantes que les nôtres. Nous avons aussi la chance de bénéficier d'une zone de chalandise particulière. Le seul autre club de sport professionnel en première division à une heure et demie de La Rochelle, c'est le Stade Rochelais Basket (sourire). Maintenant, quand on en est à 100, on n'a vraiment pas envie que ça s'arrête. Le drame, ce sera le jour où ça s'arrête."
Cette perspective, Grégory Alldritt n'y pense guère. "On se donne rendez-vous à 150 ou 200", anticipe déjà le capitaine de La Rochelle, si fier de cette série inédite. "C'est juste fabuleux ! Cette ferveur fait partie des critères pour lesquels j'ai choisi La Rochelle, il y a sept ans, et pour lesquels je prolonge avec plaisir dans ce club. J'espère que ce sera une belle fête pour les supporters. Le club va faire les choses en grand. Nous allons essayer de leur offrir aussi un petit cadeau sur le terrain."
Bien que le club maritime ait remporté 84 des 99 précédents matchs de Top 14 à guichets fermés, Pierre Venayre n'oublie pas que le Stade Toulousain s'est imposé trois fois à Deflandre depuis 2019. "Attention à ne pas se tromper. Ce n'est pas une kermesse, c'est une grosse affiche, ça reste un match de rugby. Nous veillons aussi à ce que l'ensemble du club se prépare à ça. Nous savons que, de toute façon, cette journée ne sera une belle fête que s'il y a victoire."
Quant à l'avenir ? Si la rénovation du stade est prévue et devrait prochainement augmenter la capacité de Marcel-Deflandre à près de 18 000 places, le directeur du Stade Rochelais ne veut "ne pas voir trop grand, trop vite", sa maxime. "L'objectif est de rester plein tout le temps et dans la durée. J'ai joué au club dans les années 2000, en Pro D2, et on pouvait, les week-ends d'hiver, s'allonger dans les tribunes parce que le stade était loin d'être plein. Donc, nous gardons cette image en mémoire, nous savons d'où nous venons et mesurons que même s'il y a des fondations très solides, tout cela reste fragile, car cela repose sur un état d'esprit, un collectif, une performance sportive, un engouement, une passion… et dans cette passion, il y a une part de magie que nous ne maîtrisons pas."
En tout cas, jusqu'à présent, c'est peu dire que la magie opère du tonnerre.
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